INFO BIO BFC - Le site d'informations techniques de la bio en Bourgogne-Franche-Comté

Débouchés en bovins allaitants AB : retour sur l’enquête de la CA 39 (Jura)

Le Jura, et plus généralement l’ensemble du territoire Bourgogne Franche-Comté, assiste ces dernières années à la conversion en agriculture biologique (AB) de nombreux élevages de bovins allaitants. Ce constat reflète l’engouement actuel des consommateurs pour les produits bio. Pourtant, les éleveurs de bovins allaitants sont aujourd’hui confrontés aux difficultés d’accès à des débouchés réguliers et adaptés à l’AB en tout point de chaîne. Ce paradoxe a amené la Chambre d’Agriculture du Jura à dresser un état des lieux de la filière « bovin allaitant » et donc à rencontrer certains de ses acteurs directs.

vache charolaise
Vache Charolaise et son veau / Source: APCA

 Démarche de l’enquête

Cet été 2017, une enquête a été menée par la Chambre d’Agriculture du Jura auprès de 10 éleveurs jurassiens dont l’atelier bovin allaitant bio représente la production principale (sur 36 éleveurs au total). Les agriculteurs nouvellement convertis à l’AB ont été prioritairement rencontrés. Néanmoins, afin de bien cerner les difficultés et les enjeux de cette  filière, il semblait évident et pertinent d’aller également à la rencontre des « anciens » convertis, d’une part pour comprendre quels ont été les obstacles principaux rencontrés lors de leur parcours et quelles ont été les clefs de leur réussite ; et d’autre part pour mobiliser leurs expériences et faire partager leurs témoignages auprès des « néo-convertis » ou en projet de conversion.

L’objectif des rencontres avec ces éleveurs n’a pas été d’obtenir des données quantitatives mais plutôt d’appréhender la filière et ses caractéristiques dans l’idée de faire ressortir les problématiques et/ou les questions partagées par le plus grand nombre d’entre eux. Ces résultats pourraient constituer des sujets supports de discussion et des pistes de développement pour la filière.

Résultats

Les échanges très enrichissants avec les éleveurs ont permis de mettre en évidence une grande diversité des systèmes d’élevage au sein même de la filière. Durant ces discussions, différents points ont été abordés : contexte d’installation et de conversion, type d’élevage (naisseur ? engraisseur ?), race (des plus classiques – Charolaise, Limousin, Salers – aux moins communes – Highland, Galloway, Gasconne, Auroch), production végétale, valorisation des bêtes, etc.

Généralement dans le Jura, on observe trois types de systèmes d’élevage bovin allaitant bio:

  • naisseur-engraisseur pour génisses et mâles vendus à un âge avancé (valorisés en tant que broutards non castrés ou bœufs d’au moins 36 mois), la majeure partie des éleveurs engraissant leurs veaux les sèvrent vers 8-10 mois et les finissent à l’herbe ;
  • naisseur-engraisseur pour les génisses vendues à l’âge de 3 ans environ (finies à l’auge et/ou à l’herbe) et naisseur uniquement pour les veaux mâles vendus après sevrage à un négociant/engraisseur ;
  • naisseur uniquement, tous les veaux (sauf éventuellement les génisses de renouvellement) sont vendus à un négociant/engraisseur.

En termes de reproduction, les éleveurs gardent généralement leur(s) taureau(x) reproducteur(s) pour la saillie au champ et la moitié des éleveurs interrogés réforment leurs vaches allaitantes à l’âge de 15-20 ans ; l’âge de réforme couramment rencontré étant de 8-10 ans.

Dans le respect du cahier des charges de l’AB, les systèmes offrent tous un accès aux pâturages pour leurs animaux (lorsque le climat le permet) et recherchent à être le plus autonome possible en fourrages et en céréales. 2 éleveurs sur les 10 interrogés présentent des difficultés à produire suffisamment de stocks pour l’hiver (foins, enrubannés, etc.) et ont beaucoup de mal à s’approvisionner en foin bio. Des systèmes de petites annonces (via le site d’Interbio par exemple) et des groupements d’éleveurs (avec Entente Bio) existent pour la vente et l’achat de fourrage en bio, mais manquent réellement de fournisseurs (à bon entendeur !). De même, les agriculteurs qui ne possèdent pas de surfaces en cultures ont parfois besoin de complémenter les rations avec des concentrés dont le prix avoisine les 550-600 €/t, sans pouvoir dire si ce coût sera amorti par la valorisation de la production.

Au regard de l’état sanitaire des élevages, quasiment tous les éleveurs rencontrent à un moment donné des problèmes de parasitisme du foie (petite et grande douve), de parasitisme du rumen (paramphistome) et des problèmes liés aux mouches. Pour s’assurer de la bonne santé des bêtes, les éleveurs enquêtés ont mis en place deux stratégies :

  • traitements systématiques préventifs : par exemple, un traitement vétérinaire antiparasitaire annuel réalisé sur les génisses de un an environ. Par la suite, l’éleveur compte sur l’immunité naturelle de la bête.
  • diagnostics avec coproscopie ou prophylaxie conduisant à un traitement curatif si nécessaire.

L’utilisation de méthodes alternatives (phytothérapie, aromathérapie,…) est également appliquée par quelques éleveurs afin de prévenir les maladies, soigner les bêtes et stimuler les immunités naturelles.

Quelles valorisations des produits ?

Une bonne moitié des éleveurs enquêtés engraissent leur bétail au vu de valoriser et commercialiser la viande en vente directe, souvent sous forme de caissette (vente à la ferme, magasins, AMAP, marché, etc.). Mais vendre en direct oblige à porter plusieurs casquettes : éleveur, transformateur, commerçant… et tous n’ont pas le souhait de réaliser toutes ces tâches. C’est pourquoi, l’autre moitié des éleveurs ne fait pas de vente directe (ou très peu) et préfère vendre les bêtes à des négociants pour l’abattage ou pour l’engraissement, mais malheureusement pas toujours en circuit AB ! En effet, si la viande des bovins engraissés sur l’exploitation bio (VA, génisses et bœufs) et prêts à être abattus est majoritairement valorisée en bio par les plus grands négociants (ex. Bigard), les veaux et jeunes bovins mâles bio vendus pour engraissement terminent presque tous dans des systèmes conventionnels à défaut de continuité et de structuration de la filière pour l’engraissement. Ajouté à cela que d’après certains éleveurs, la valorisation des viandes dans le circuit biologique n’est clairement pas à la hauteur du label AB. Plusieurs ont d’ailleurs souligné le fait que les prix généralement proposés par la restauration collective ne permettaient pas une bonne valorisation d’une viande de qualité bouchère supérieure.

Dans ce contexte, la Chambre d’agriculture du Jura a souhaité faire intervenir l’association locale EntenteBio et la structure UNEBIO lors d’une rencontre qui s’est tenue à la Maison des Agriculteurs de Lons-le-Saunier le 3 Octobre 2017. Les éleveurs ayant participé à l’enquête ainsi que tous les autres éleveurs bio en bovins allaitants du Jura ont été conviés à cette demi-journée pour discuter de la valorisation des produits et de la structuration de la filière bovin allaitant dans le Jura.

  • EntenteBio créée en 2011, est une association de producteurs, reconnue aujourd’hui pour être créatrice de réseaux et de liens entre éleveurs et consommateurs à l’échelle locale. Les éleveurs qui adhèrent à EntenteBio peuvent commercialiser leurs bêtes via l’association qui se charge alors de mettre en lien éleveurs et acheteurs, de planifier les dates et les lieux de commercialisation et de facturer les transactions. Les tueries ont lieu à l’abattoir de Lons-le-Saunier et bien que le transport s’organise de manière privée, les frais d’abattoir et de façonnage sont à la charge de l’acheteur. Pour faire partie d’EntenteBio, pas de contrat nécessaire mais un partenariat de confiance : les éleveurs s’engagent à respecter le cahier des charges de l’Agriculture Biologique et le cahier des charges de l’association. Les prix des bêtes sont négociés puis validés en assemblée générale pour une durée d’un an. EntenteBio comprend aujourd’hui 40 éleveurs de bovins (lait et allaitant confondus) et 8 maraîchers qui fournissent la cuisine centrale de Lons-le-Saunier ainsi que la boucherie du Super U de Montmorot.

Pour plus de détails, contacter Monique Michaud (moniquemichaud@orange.fr, 06.86.95.28.28)

  • UNEBIO (UNion des Éleveurs BIO) regroupe des producteurs bio organisés en réseau depuis 1995 dans le but de structurer au niveau national 5 filières productrices de viande certifiée AB: bovins, veaux, porcins, ovins et volailles. Les éleveurs adhérents gèrent eux-mêmes les lignes directrices de leur filière, UNEBIO joue uniquement le rôle d’opérateur : achat/approvisionnement en lien avec les éleveurs/collecteurs/ordonnanceurs, coordination, mise en marché, gestion de l’approvisionnement des partenaires, affectation des carcasses, suivi de la mise en marché, prospection et développement, accompagnement marketing, animation en magasin, etc. Pour le secteur Centre-Est, les tueries et les découpes ont actuellement lieu à l’abattoir de Mirecourt (Vosges, 88) et à l’abattoir de Besançon (25) ; UNEBIO a établi un partenariat avec ce dernier à compter d’Octobre 2017. L’adhésion à UNEBIO se fait au niveau des pôles régionaux et les cotisations sont directement prélevées sur le prix de vente des bêtes. Les prix, stables dans le temps, sont définis en commission filière (groupe d’éleveurs adhérents qui prennent alors les décisions sur la gestion des budgets de mutualisation et sur les stratégies d’achat déconnectées du conventionnel) et varient selon les critères d’engraissement, de conformation, etc., à l’abattage. La recherche de régularité des approvisionnements apporte aux éleveurs, mais aussi aux clients, une meilleure transparence et anticipation du marché.

Pour de plus amples informations, contacter Claire Favier (claire.favier@unebio.fr, 06.07.49.33.10), ou rendez-vous sur www.unebio.fr

Réseaux locaux de valorisation : lors de cette demi-journée de restitution, Mélanie Moingeon, chargée de mission circuits courts à la Chambre d’Agriculture du Jura et intervenant pour les réseaux locaux de valorisation, a également présenté les différentes actions menées (ou en projet) à l’échelle du département. Entre autres : la plateforme AgriLocal qui permet un échange direct entre les structures de restauration collective (achat) et les producteurs/éleveurs (vente), le projet de la cuisine centrale de Saint-Claude qui recherche un approvisionnement local et bio (si possible) au sein des agriculteurs/producteurs du Parc du Haut-Jura (ouvert par la suite à l’ensemble des agriculteurs/producteurs du Jura, de l’Ain et du Doubs), le projet de mise en place d’un atelier collectif et partagé de producteurs/transformateurs dans le Haut-Jura. Précisons également que la région Bourgogne Franche-Comté encourage les démarches d’approvisionnement local au sein des restaurations collectives et plus particulièrement des lycées en fixant un objectif de 50% de produits locaux, si possible bio, dans les cantines des lycées d’ici 2020.

Pour toutes infos complémentaires, contacter Mélanie Moingeon (melanie.moingeon@jura.chambagri.fr)

Perspectives à explorer

Lors de l’enquête et/ou lors du temps de restitution et d’échange, les éleveurs sont unanimes sur le fait que la filière bovin allaitant certifiée AB a besoin d’être soutenue et accompagnée dans la mise en place de projets pour son développement. Les débouchés inexistants en circuit bio pour les broutards issus d’élevage AB, les prix des produits « allaitants » non valorisés, la fluctuation des quantités demandées et la perte de valeur ajoutée dans les schémas de transformation sont autant de difficultés que rencontrent les éleveurs bovin allaitant d’aujourd’hui quant à la structuration de leur filière et sa démarcation par rapport au circuit conventionnel.

Fiers d’avoir choisi l’AB comme marque de qualité de leur travail, certains estiment en effet que la filière manque de reconnaissance et la certification AB de lisibilité par rapport à d’autres appellations types « plein air » ou « label rouge » par exemple. De plus, la confusion entre agriculture « locale » et agriculture « biologique » semble de plus en plus répandue : les deux dénominations ne vont pas obligatoirement de pair. Mais alors le « local », ça va jusqu’où ? Au-delà des problèmes de coût, de logistique et de bien-être animal inhérents au lieu d’abattage parfois lointain, il y a de plus une véritable question éthique à résoudre ainsi qu’un réel travail de réflexion, de communication et de sensibilisation à mettre en place entre les professionnels de la filière et les consommateurs à l’égard du « local ».

Enfin, bien que la plupart des éleveurs ait fait le choix du bio par conviction ; ne négligeons pas que les aides constituent aussi une incitation à la conversion en AB et cela malgré les incertitudes planant sur les montants et les retards de paiement des aides PAC. Si les aides subsistantes venaient à diminuer ou à disparaître et si la filière ne venait pas à rapidement se structurer autour de la valorisation de la viande AB, plusieurs éleveurs ont signalé, à contrecœur, qu’ils envisageraient de cesser leur activité en bio pour retourner en conventionnel… Face à cette constatation, la Chambre d’Agriculture du Jura souhaite faire émerger une dynamique de groupe d’éleveurs, participer à la mise en place de rencontres interprofessionnelles autours de questions techniques (avec intervenants, chez les éleveurs, etc.) et veiller à la transmission d’informations locales et/ou nationales relatives à la filière bovin allaitant en AB. Pour rappel, l’ADFPA (Association de formation locale) propose des formations qui pourraient permettre de répondre aux besoins des éleveurs, et des agriculteurs en général.

Lisa THIVANT et Morgane FROGER, Chambre d’Agriculture du Jura

Avec le soutien financier de :

Laisser un commentaire

Fermer le menu